Rencontre avec le réalisateur Johan Grimonprez.

Avec l’aimable autorisation de IDA Documentary Magazine / Photo par Arlene Mejorado

Soundtrack to a Coup d’Etat, en salle le 1er octobre en France.
Nominé à l’Oscar du meilleur film documentaire 2024.

Nominé à l’Oscar du meilleur film documentaire 2024, Soundtrack to a Coup d’Etat en mérite tous les éloges. Le film revient sur l’épisode tragique de l’accès à l’indépendance du Congo au début des années 60, qui doit alors composer avec l’influence coloniale belge, et surtout, les ingérences répétées des Etats-Unis. Alors même que la lutte pour les droits civiques fait encore rage pour les Afro-Américains, la diplomatie américaine n’hésite pourtant pas à se servir de la musique jazz et de ses figures noires emblématiques comme d’un soft power de propagande à l’international. Si bien qu’en 1961, la tournée de Louis Armstrong au Congo servira de couverture à la CIA pour l’assassinat de Patrice Lumumba, figure majeure de l’indépendance du Congo…
Fort d’un montage et d’une bande-son puissante, Soundtrack to a Coup d’Etat met la lumière sur un épisode méconnu de la guerre froide, et se fait le porte-voix des velléités libertaires et égalitaires de tout un peuple.

Johan Grimonprez, «Le jazz utilisé à la fois comme propagande et cri de révolte » .
Artiste, vidéaste, anthropologue de formation, et conservateur belge.

Le film traite en bloc les sujets de l’indépendance du Congo et la lutte des Afro-américains pour leurs droits civiques. Cela faisait-il sens pour vous d’aborder ces deux thèmes ensemble ou l’un a-t-il mené à l’autre ?


« Tout part d’abord de cette fameuse 15ème assemblée des Nations-Unies, qui fut le théâtre d’un véritable séisme politique, alors que le nouvel axe Asie/Afrique (ndlr : mouvement des non-alignés) fait basculer le vote, menaçant directement l’hégémonie des deux blocs. On assiste alors à un réveil global du Sud, dont le Congo fait partie, et qui influencera directement la manière dont les Etats-Unis s’occuperont du cas du Congo, à savoir en assassinant Patrice Lumumba. A cette époque, les USA arborent une vraie schizophrénie à ce sujet : d’un côté les lois raciales ségrégationnistes sont toujours en vigueur sur le sol américain, de l’autre des artistes noirs américains de musique jazz sont largement mis en avant dans le soft power américain, dont la musique alors touche particulièrement les peuples africains pour le message de liberté et d’indépendance qu’elle porte. A ce moment-là, la musique jazz est à la fois utilisée comme propagande, et comme cri de révolte des peuples. La quintessence de cette dualité peut se trouver dans la tournée de Louis Armstrong au Congo, dont j’avais déjà connaissance, qui servit au final de couverture pour la CIA dans l’assassinat de Lumumba, ce que je découvris alors. D’où le titre du film Soundtrack to a Coup d’Etat. »

Quelles furent les retours du public belge à propos du film ? (ndlr: Soundtrack to a Coup d’Etat fut admis en salle dés 2024 en Belgique et aux Etats-Unis notamment)

« Il faut se rendre compte que toute cette histoire fut pendant très longtemps très lointaine aux yeux des Belges. On a surnommé pendant longtemps le Congo comme “L’Empire du Silence”. La grande majorité des personnes n’étaient simplement pas tenus au courant. Et lorsque la lumière fut peu à peu faite sur ces évènements, les premières réactions furent plus de l’ordre du déni que de la consternation. Aujourd’hui, il existe à Bruxelles une importante communauté africaine, la famille de Patrice Lumumba fut invitée en Belgique, et malgré tout, il existe encore beaucoup de déni à ce sujet. Ceci étant, le film est resté prêt de 8 mois dans les salles belges ! Cela nous montre, à mon avis, que même si le sujet reste explosif, et sensible, le débat a bel et bien été ouvert, qu’une forte acceptation et reconnaissance ait fait son chemin depuis. C’est tardif, certes, mais nous devons nous en réjouir tout de même.
J’ajouterai que, il ne faut pas retenir de ce film et des évènements qu’il relate une seule émotion de regret, qu’il devienne un “piège nostalgique”. Ces évènements, tout comme la musique qui les accompagnent, sont également l’incarnation d’une colère, d’une résilience et de l’espoir de tout un peuple. Je crois que ce message a également été perçu en Belgique. »

Certains codes classiques du documentaire, comme la voix-off ou l’intervention de témoins et spécialistes, ne sont pas utilisés dans votre documentaire, pourquoi ce choix ?

« L’idée n’était pas vraiment fixée dès le départ, mais rapidement, il nous a paru censé que la meilleure manière de montrer la détermination et la colère du peuple congolais et afro-américain était de le leur laisser le dire eux-mêmes. Je ne peux pas prétendre raconter l’histoire de Patrice Lumumba. Je peux cependant prétendre à parler de son assassinat, de l’implication de la Belgique, et d’en ouvrir le dialogue. De la même manière que lorsque Louis Armstrong joue et chante, alors il faut l’écouter jouer et chanter. Nous avons ensuite simplement continué de creuser pour tout le reste du film. De cette manière, nous avons pu leur redonner la parole et retranscrire leur voix. Toutes ces personnes, ces images, ces musiques, parlent déjà d’elles-mêmes. »

Propos recueillis par Léo Potier

You may also like